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View Full Version : Les fonds speculatifs: gangsters au petit jour ?


Anonyma
17 november 2006, 09:55
Les fonds d'investissement spéculatif – hedge funds, private equity & Co.
– contrôlent aujourd'hui près de mille milliards d'euros d'actifs. Ils ont
joué un rôle déterminant dans l'OPA Mittal-Arcelor. Et ils donnent des
sueurs froides aux autorités financières. Alors, on régule? On régule pas...

La bataille pour le contrôle de la sidérurgie européenne a, au minium,
enrichi le vocabulaire populaire d’un nouveau mot.

Au Café du Commerce, on connaissait Arcelor, le machin qui a remplacé
Cockerill-Sambre et Sidmar. On connaît maintenant, entre deux chopes,
Mittal, un autre machin. Le 25 juin 2006, il a gobé Arcelor et ses quelque
13.000 travailleurs en Belgique.

L�*, cependant, on ne connaît rien, on reste en surface.

Les "trente salopards"

La bataille des géants, Mittal contre Arcelor, c’est un conte de fées,
l’image d’Epinal répandue par les écrans de télévision pour amuser et
distraire la galerie. Mittal contre Arcelor, c’est facile �* retenir. Le
premier a fait une offre de rachat alléchante et le second, finalement,
s’est incliné. Cela s’est fait par un vote au conseil d’administration, ce
qui estn une sorte de happy end : les actionnaires d’Arcelor ont eu le
dernier mot.

Cette fable, lorsqu’on sait l’importance que les élites politiques
européennes accordent au libre jeu du marché, mérite qu’on s’y arrête. Car
c’est en coulisse qu’a eu lieu le coup d’estoc déterminant visant �* faire
fléchir les dirigeants d’Arcelor.

Cela se passe le 30 mai 2006, quatre jours après qu’Arcelor ait annoncé sa
proposition de s’associer au Russe Severstal pour – définitivement,
pensait-il – repousser l’OPA hostile de Mittal. Le moment est crucial. Et
cela va se passer en coulisse.

Tout le monde connaît le nom de Mittal, bien peu ont entendu parler du
Children’s Investment Fund, de De Shaw, de Centaurus, de Highbridge ou
d’Atticus Capital. Ce sont des fonds spéculatifs. Ils agissent dans l’ombre.

Comme le raconte John Plender , ce sont eux, par une manoeuvre orchestrée
par la banque d’investissement Goldman Sachs, qui signent, le 30 mai 2006,
une lettre de protestation collective adressée au conseil
d’administration, dénonçant le caractère "profondément antidémocratique
[sic] et contraire aux principes de la gouvernance d’entreprise" du projet
d’alliance avec Severstal.

"Signent" est, en l’occurrence, un bien grand mot. Non seulement la lettre
ne comporte-t-elle pas l’adresse de ces soi-disant "actionnaires rebelles"
(que d’aucuns baptiseront les "trente salopards") ni indication claire du
nombre de titres dont ils se prévalent, mais leur signature est souvent
illisible. Cela fait penser �* la mafia. Lettre de menace anonyme, c’est
presque cela.

C’est pourtant cette même lettre qui, toujours en coulisse, le même jour,
le 30 mai 2006, sera brandie �* un des administrateurs principaux
d’Arcelor, l’Espagnol José Maria Aristrain (3,6% des parts), lors d’un
aparté secret organisé �* cet effet par Mittal �* l’aéroport de Stuttgart .
Cette lettre va ébranler Aristrain, maillon faible d’Arcelor, et l’enrôler
dans le camp Mittal.

Le 30 mai, la messe est dite. Le reste n’est plus que littérature,
fabliaux et propagande pour assurer que l’honneur du marché reste sauf :
les actionnaires ont eu le dernier mot. La bonne blague.

Histoire de sauterelles

Les grands méchants loups de la finance, jusqu’il y a peu, étaient les
fonds de pension, également appelés "investisseurs institutionnels" ou
"zinzins". Dépassés, les fonds de pension ! A côté des instruments de
spéculation apparus ces dernières années – "hedge funds" et "private
equity houses" – ces zinzins font figure d’enfants de choeur.
Rien ne sert, non plus, de graver en mémoire les noms de la Children’s
Investment Fund ou de Centaurus. Que ce soit chez Arcelor ou ailleurs, ils
viennent et ils repartent, comme des nuées de sauterelles qui nettoient
tout sur leur passage : la comparaison a été utilisée en avril 2005 par le
dirigeant social-démocrate allemand Münterfering, suscitant réprobation et
riposte des milieux financiers. La Banque centrale européenne, par
exemple, rappellera l’Allemagne �* l’ordre en l’invitant "�* faire bon
accueil �* ce type d’investisseurs en raison de l’utilité de leur
contribution macroéconomique" .

« Nuées », le mot n’est pas faible. En 1990, ces "véhicules
d’investissement �* statut non réglementés" qu’on appelle hedge funds (la
variante "private equity" cible les sociétés non cotées), étaient au
nombre d’environ 300.
Dix ans plus tard, en 1999, on en comptait 4.000, et 6.700 en 2003. Ils
contrôlaient, �* ce moment, des actifs estimés �* 600 milliards de dollars ,
un chiffre qu’il convient de multiplier par deux aujourd’hui. Cela fait
plus 1.200.000.000 dollars, soit pas loin de mille milliards d'euros :
sauterelles puissantes.

Leur montée en puissance est due, essentiellement, �* une politique de
l’argent facile et �* sa très grande disponibilité. Partout, tendance �* la
baisse des salaires, �* la hausse des profits. Cela fait des montagnes
d’argent dont les propriétaires, entreprises et riches particuliers, ne
savent trop que faire, sinon les faire fructifier encore et plus, d’autant
que l’argent est bon marché : faibles taux d’intérêt, s’endetter ne coûte
rien.
D’où règne de la spéculation. Et risque de bulles financières.

Notant que "les marchés financiers ont poussé comme de la mauvaise herbe
durant la dernière demi-décennie de faibles taux d’intérêt réels" et que
"leur part des revenus a atteint des niveaux records", le Wall Street
Journal n’explique pas autrement la réticence actuelle des banques
centrales �* relever leurs taux : "Ce qui les tient éveillés la nuit n’est
pas tant l’inflation que l’instabilité."

Le raisonnement des banques centrales, suggère le journal financier
américain, est qu’il vaut mieux, �* tout prendre, avoir un peu d’inflation
que risquer une réédition du crash de 1998, lorsque le fonds spéculatif
Long Term Capital Management a dû être renfloué pour éviter un
effondrement mondial des places financières .

Même inquiétude �* la Banque centrale européenne qui, contrairement aux
bons conseils prodigués peu avant �* l’Allemagne, s’est hasardée �* dire que
le crash d’un hedge fund majeur (ou d’un groupe de petits hedges) serait
d’une amplitude comparable �* une pandémie de la grippe aviaire . Et qu’il
y a l�*, donc, menace de déstabilisation de l’économie européenne. Pas moins.

Globalement déstabilisant

Que ces fonds spéculatifs ont une inquiétante capacité de déstabilisation,
les (ex-)dirigeants d’Arcelor en ont fait l’amère expérience, �* un niveau
plus terre-�*-terre, dans le quotidien du tissu productif,. Il n’y a pas
que le management d’Arcelor...

Voir le cas de Cadbury-Schweppes, une boîte transnationale qui, sous
prétexte de "recentrage", a décidé en novembre 2005 de lever un peu de
cash en vendant, pour 1,85 milliard d’euros, son néanmoins très lucratif
département "boissons européennes" (Schweppes, Orangina, Oasis,
Apollinaris). Vendre �* qui ? Vendu aux fonds spéculatifs Blackstone et
Lion Capital. Qui vont faire quoi? Comme l’a relevé �* l’époque un
commentateur bien informé des prouesses managériales dont ces fonds sont
capables, ils vont faire ceci "sabrer dans les coûts puis se dégager vite
fait" . En clair, pas des capitaines d’industrie, mais des tueurs �* gages.

Au même moment, de l’autre côte de l’Atlantique, même scénario avec le
groupe de presse américain du Miami Herald, dont le fonds spéculatif
Private Capital Management exigera, après avoir acquis 19% des parts du
capital, la vente pure et simple. Non parce que le journal serait mauvais
ou déficitaire, mais parce que sa marge bénéficiaire est jugée trop
faible. Alors, n’est-ce pas, autant vendre, autant se faire un gros magot
tout de suite pour "réinvestir" ailleurs et... après moi, le déluge.
N’est-ce pas le but du jeu ? Maximiser les profits.

L’affaire Heinz est meilleure encore. L�*, en juin 2006, sous les assauts
du fonds spéculatif de la Trian Fund Management, le célèbre fabricant de
ketchup acceptera, pour augmenter sa rentabilité (et donc les dividendes),
de se défaire de 8% du personnel (2.700 travailleurs) et de liquider 15
usines ..... On casse tout ? Si cela permet de mieux rétribuer les
actionnaires, pourquoi pas.

Spéculation rapace

Ce capitalisme rapace se signale par quelques traits. Primo, il mise peu
en vue de rapporter gros, et souvent en s’endettant (argent facile). En
s’offrant la société chimique allemande Celanese, il a sorti 650 millions
d’euros pour aussitôt en récolter plus de trois milliards : est
typiquement visé, un rendement annuel de 35% sur l’investissement .

Pas d’état d’âme naturellement. Ces fonds sont particulièrement appréciés,
par le marché, pour leur capacité de "guérir" des entreprises affligées
"d’inflexibilité sociale" – entendre : l�* où les travailleurs tiennent �*
leurs acquis. Les coupes sombres, c’est leur spécialité. Dépeçage et
traitement de choc.

Un autre trait est leur intérêt croissant pour les industries nobles qui,
�* l’instar d’Arcelor, produisent biens d’équipements et marchandises
durables. Il n’est jusqu’aux PME qui voient leur structure familiale
ébranlée : l’an dernier, en 2005, 78% des investissements spéculatifs
visaient en Italie des entreprises de moins de 250 personnes .

Sachant que les fonds n’ont aucune politique industrielle (cadet de leurs
soucis) et ne visent que le gain immédiat, leur emprise croissante sur
l’économie des nations ne manque pas d’inquiéter. C’est le règne
suicidaire du "court-termisme", comme Patrick Artus l’a dénoncé dans son
livre "Le capitalisme est en train de s’autodétruire". En effet,
note-t-il, la course �* "la rentabilité élevée porte en elle-même sa propre
fin, puisqu’elle suppose de sacrifier l’avenir" .

Alors ? Revenons �* l’OPA sur Arcelor. Commentant le rôle décisif, étrange
et occulte qu'y ont joué les fonds spéculatifs, l’analyste financier John
Plender lance cet avertissement : "Le message qui ressort d’Arcelor (...)
est que permettre aux hedge funds, et �* d’autres institutions possédant
des objectifs et des agendas très différents, de dicter la structure de
l’économie globale, avec toutes les conséquences pour les marchés et pour
l’emploi, est hautement critiquable en l’absence de plus de transparence."
L’affaire, dit-il, souligne le "besoin urgent" de revoir "les mécanismes
brinquebalants" mis en place par l’Europe en matière d’acquisition
d’entreprises .

Le politique s’est endormi ?

L�*, le journaliste britannique met le doigt sur la plaie. La Banque
centrale européenne, on l’a vu, juge l’évolution préoccupante. Que font
les autorités ? Il y a quelqu’un ?

Les "autorités", en réalité, ne sont pas restées de marbre. Elles ont des
"pistes". Elles envisagent des "mesures". Elles ne vont pas toutes dans le
même sens.

C’est que le contraste est étonnant – et inattendu – entre la voie choisie
par les Etats-Unis et celle que s’apprête �* tracer l’Union européenne.
Contrôle accru outre-Atlantique, laisser-faire dans le Vieux Continent.
Qu’on en juge.

Aux Etats-Unis, sous un titre éloquent ("A quand une police des hedge
funds ?"), le magazine financier Business Week dénonçait voici peu les
lenteurs entourant les mesures de régulation du secteur décidées en 2002.
En rappelant que ce business, "hautement secret" et libre de toute
restriction, a amassé "des montants records de cash, dont une bonne part
pourrait provenir de sources douteuses". C’est un aspect dont on parle
peu. N’ayant de compte �* rendre �* personne, ces fonds spéculatifs peuvent
d’évidence être le véhicule d’opérations de blanchiment d’argent et
d’autres activités criminelles. Les réguler, donc, relève d’un impératif
platement pénal. C’est ainsi qu’on raisonne �* Washington.

En Europe, autre son de cloche. Début juillet 2006, la Commission
européenne a rendu public le rapport qu’elle a commandité �* un groupe
d’experts aux fins de déterminer, par la méthode discrétionnaire qui fait
son charme, une politique en la matière, ce qu’un "livre blanc"
formalisera avant la fin de l’année .

Formaliser est le terme approprié. Car il apparaît d’ores et déj�* que,
malgré son intention de consulter consommateurs, investisseurs et
autorités de régulation nationales, donc d’ouvrir le débat, la Commission
européenne ne modifiera pas d’un iota les conclusions du groupe d’experts.
Lesquels optent sans surprise – ils ont été choisis dans le secteur des
fonds spéculatifs ! – pour un minimum de régulation. On trouve notamment,
parmi ces "conseillers du prince", des représentants de Tribeca (l’unité
hedge funds de Citigroup), de Lyxor (Société Générale) et de Goldman
Sachs, chef d’orchestre pour Mittal des "trente salopards" parachutés dans
le dossier Arcelor.

Manifestement, les fonds spéculatifs ont encore de beaux jours devant eux
en Europe. La foi dans les vertus d’un marché libéré de toutes entraves,
quelles qu’en soient les conséquences pour les entreprises et les
travailleurs, demeure – c’est maladif – l’alpha et l’oméga de la
nomenklatura européenne.

1. John Plender, "Arcelor, Mittal and the usual hedge fund suspects",
Financial Times, 26 juin 2006.
2. Peter Marsh, "Deal finalised in a palace, but sealed in an airport",
Financial Times, 27 juin 2006.
3. Financial Times, 14 octobre 2005.
4. Problèmes économiques, n°2.813, 11 juin 2003.
5. Wall Street Journal, 28 juillet 2006.
6. Financial Times, 2 juin 2006.
7. Financial Times, 12 novembre 2005.
8. Wall Street Journal, 2 juin 2006.
9. The Economist, 28 mai 2005.
10. Financial Times, 29 mars 2006.
11. La Tribune, 4 novembre 2005.
12. Article déj�* cité, note 1.
13. Business Week, 19 juin 2006.
14. Financial Times, 5 juillet 2006.




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