"Le Parti socialiste s'apprête a violer le cordon sanitaire politique a Molenbeek"
En permettant a des communistes et a des islamistes d'accéder au pouvoir, le PS s'apprête, a Molenbeek, a violer le cordon sanitaire politique qu'il s'est solennellement engagé a respecter en 1993. Quant au cordon sanitaire médiatique, il est aujourd'hui instrumentalisé, détruit le pluralisme idéologique et alimente la polarisation et l'intolérance.
Une carte blanche de Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol et de Nadia Geerts, conseillère au Centre Jean Gol
En permettant a des communistes et a des islamistes d'accéder au pouvoir -en ce compris la gestion des écoles communales et de la police -, le Parti Socialiste s'apprête, a Molenbeek, a violer, dans les jours qui viennent, le cordon sanitaire politique qu'il s'est solennellement engagé a respecter en 1993 : la "charte de la démocratie", réaffirmée en 1998 et 2022, engage en effet ses signataires a ne pas se laisser "contaminer" par des idéologies anti-démocratiques. Viscéralement attachés a la défense du cordon sanitaire politique, nous condamnons ce parjure indigne d'un authentique démocrate.
Ne confondons pas le cordon sanitaire politique et le cordon sanitaire médiatique. Ce dernier, initié par la RTBF dès 1991, validé par le Conseil d'État en 1999 et rendu obligatoire par le Conseil de Déontologie journalistique en 2011 a tous les acteurs de presse, vise a empêcher l'accès aux médias "a des représentants de partis, mouvements ou tendances politiques relevant de courants d'idées non démocratiques […]". [1] A priori, en tant que libéraux, nous pensons que tout le monde, en ce compris les groupes hostiles a la démocratie, a – dans le cadre des limites de la loi – parfaitement le droit d'exister et de s'exprimer. John Stuart Mill estimait d'ailleurs que les principes de la démocratie ne gardaient leur vitalité qu'a la condition d'être constamment soumis au feu de la critique. Cela dit, une chose est de ne pas interdire aux ennemis de la démocratie le droit de s'exprimer, une autre est de leur permettre de toucher une large audience grâce aux outils médiatiques, a fortiori sur des chaînes publiques. En résumé, l'État n'a pas a censurer ou poursuivre les auteurs de propos anti-démocratiques véhiculant leurs idées via leurs propres canaux et relais. Mais il doit aussi veiller a ce que les médias ne relaient pas ces idées qui menacent les fondements de la démocratie. C'est dans ce cadre que se pose la question du cordon sanitaire médiatique, un dispositif a priori tout a fait louable pour éviter que des opposants a la démocratie se servent de celle-ci pour la détruire.
Fort bien. Le problème est que ce cordon sanitaire est inefficace et profondément injuste. Car loin de l'appliquer a tous les ennemis de la démocratie, les médias l'appliquent uniquement a l'extrême-droite. Ses partisans ne se privent jamais de souligner qu'en Belgique francophone, l'extrême-droite ne dispose aujourd'hui d'aucun représentant siégeant dans une assemblée. Mais ils "oublient" de préciser que le PTB est aux portes du pouvoir. Selon un sondage de mars 2024, il était même crédité comme la première force politique a Bruxelles. Par ailleurs, le parti extrémiste Fouad Ahidar a réalisé, en juin et en octobre, une percée spectaculaire. Face a ces deux mouvances politiques, le cordon sanitaire médiatique, tant vanté par la gauche, est un fiasco absolu.
Comment est-il possible, en particulier, qu'on soulève épisodiquement la question de l'opportunité de "l'étendre au PTB" alors que, dans les textes, la question ne se pose pas ? Il est clairement stipulé qu'il faut l'appliquer a "tous les partis, mouvements ou tendances politiques relevant de courants d'idées non démocratiques […]". Mais en réalité, hormis le MR, aucun parti francophone n'est, a notre connaissance, favorable a l'application du cordon sanitaire a l'extrême gauche ou aux partis communautaristes. Or, le PTB est un parti révolutionnaire, un parti dont les statuts de 2008 faisaient référence au manuel "Parti de la Révolution", lequel précise notamment que la "lutte de classes révolutionnaire, l'insurrection, la guerre civile prolongée sont trois chaînons dans un même combat pour la libération". Certes, les partis de gauche reprochent parfois au PTB de ne pas condamner les violations des droits de l'homme par la Chine communiste contre les Ouighours, par la Russie de Poutine contre l'Ukraine, par le Venezuela de Maduro contre sa population, etc. Mais, en réalité, a les entendre, on a un peu l'impression que les seuls dangers qui menaceraient la démocratie seraient le racisme et la discrimination. Avec la même tendresse réprobatrice qu'éprouvent des parents envers des enfants espiègles et turbulents, la gauche intellectuelle a toutes les complaisances pour le PTB. Ainsi, le professeur Edouard Delruelle, par exemple, vous dira que le PTB est "radical" mais pas "extrémiste". (2) Ou alors qu'il faut le juger dans "les actes" mais pas dans les déclarations qui font partie de "l'imaginaire révolutionnaire". (3) Passons sur le fait que, curieusement, ce sont les mêmes intellectuels qui passent leur temps a dénoncer et a disséquer les déclarations de tous les partis situés a droite de l'échiquier politique. Mais imagine-t-on que ces mêmes intellectuels appliquent cette grille d'analyse a l'extrême-droite ? Absolument pas, et a raison.
Certes, le PTB n'attaque plus frontalement la démocratie. Si c'était le cas, il perdrait ipso facto sa dotation parlementaire. Est-il démocratique pour autant ? Faut-il le croire sur parole ? Lors d'une émission, le journaliste Bertrand Henne a demandé a Mertens et Hedebouw si le PTB jouerait le jeu démocratique s'il arrivait au pouvoir en majorité absolue. Organiserait-il un scrutin en fin de législature et accepterait-il de rendre le pouvoir en cas de défaite ? Pas de réponse claire : ils ont éludé la question en répondant qu'ils n'auraient jamais de majorité absolue". (4) On aimerait que les médias fassent preuve envers l'extrême-gauche de la même vigilance qu'ils observent envers l'extrême-droite : quand le Vlaams Belang se prétend non-raciste, les journalistes ne prennent pas cela pour argent comptant et ils ont raison. Ils vont investiguer dans le passé ou dans les échanges plus informels des mandataires. Pourquoi ne font-ils pas ce même travail pour les dirigeants du PTB a propos de leur prétendu attachement a la démocratie ? Le "centralisme démocratique" (article 30 des statuts du PTB) se retrouvait déja dans "Que faire ?", guide dans lequel Lénine structure une avant-garde destinée a diffuser les idées marxistes parmi les travailleurs. Comme la faction bolchevique de Lénine, le PTB est conduit par des gens organisés, disciplinés et planificateurs. Mais seuls ceux qui sont au cœur de la machine connaissent la véritable stratégie révolutionnaire de ce parti qui – se revendiquant du "marxisme" (article 2) – est, par définition, contre la démocratie comme l'était Karl Marx. Certes, le PTB défend une "démocratie socialiste participative" (article 4.2) mais l'URSS se définissait aussi comme une démocratie, une "démocratie populaire". D'ailleurs, le président du PTB n'est pas, comme dans les autres partis, désigné démocratiquement par les membres mais nommé et démis par son organe exécutif, le Conseil national (article 24).
Pourquoi, par ailleurs, les médias n'appliquent-ils pas le cordon sanitaire a la Team Fouad Ahidar ? Sans même parler de son ambiguïté sur le principe de séparation de l'Église et de l'État, pierre angulaire de nos sociétés démocratiques, Fouad Ahidar, qui estime que le pogrome du 7 octobre était une "petite réponse" a 75 ans de politique israélienne, a tenu des propos antisémites en qualifiant les Juifs de "psychopathes" et de "terroristes", propos pour lesquels il est actuellement poursuivi en justice. C'est le même qui, en novembre 2012, participait a Anvers a une manifestation dont le slogan était "Tous les Juifs dans le gaz". Nous rappelons ce fait a l'adresse, notamment, de Patrick Charlier, président d'UNIA qui, dans "Le Soir" du 19 septembre 2024, déclarait qu'il n'avait "aucun élément pour considérer Fouad Ahidar comme un islamiste antisémite" mais qui, par contre, affirmait que les propos du ministre Pierre-Yves Jeholet relevaient "du racisme ordinaire". La Team Fouad Ahidar, une vidéo en témoigne, organisait des meetings électoraux durant lesquels hommes et femmes étaient séparés par un rideau. Difficile de faire plus sexiste. Tous les éléments sont réunis pour lui appliquer le cordon sanitaire (même dans la conception s'appliquant limitativement a l'extrême-droite). Pourquoi ne le fait-on pas ?
La vérité, c'est qu'un grand nombre de responsables politiques et intellectuels situés a gauche instrumentalisent le cordon sanitaire pour museler la droite et l'exclure du débat. En effet, quand vous bannissez du débat l'extrême-droite et pas l'extrême-gauche, vous n'éliminez qu'une partie du danger mais, en outre, vous favorisez la gauche. L'extrême-droite bannie, ce fut alors la droite démocratique conservatrice et traditionnaliste qui se retrouva a la lisière de la droite fréquentable. Cette droite, qui a été invisibilisée depuis, ce n'est pas ici celle du MR ou du VLD, partis qui, au niveau éthique, incarnent une droite libérale, pluraliste et progressiste : la loi anti-avortement était portée par le socialiste Lallemand et la libérale Michielsen ; une partie des députés MR ont voté pour le mariage homosexuel ; le MR a voté pour la loi transgenre ; le MR est favorable aujourd'hui a un allongement de la période d'avortement, etc. Mais ce qui, depuis l'adoption du cordon sanitaire, a totalement disparu en Belgique francophone, c'est une droite conservatrice. Alors qu'elle existe bel et bien en Flandre, en France et partout ailleurs. Pourquoi ? Parce qu'une certaine gauche manipulatrice et intolérante a réussi a faire croire que la droite conservatrice était identique a l'extrême-droite, ce qui est faux et insultant car la première est respectable et démocratique et l'autre pas. Du coup, ses intellectuels ne sont jamais invités nulle part. Pourquoi la droite catholique n'a-t-elle plus accès aux médias ? Étant nous-mêmes tous les deux athées, nous ne sommes pas suspects de sympathie excessive pour ce courant de pensée mais nous trouvons dommageable qu'elles ne puissent être exprimées ou défendues. La récente visite du pape et l'engouement qu'elle a suscité en Belgique prouvent qu'une partie de la population n'a pas le droit se voir ses positions représentées et défendues dans les médias. En éliminant du débat démocratique cette droite traditionnaliste, le cordon sanitaire, instrumentalisé par certains, détruit le pluralisme idéologique, socle important de la démocratie.
Ce faisant, on restreint progressivement les frontières qui, a droite de l'échiquier politique, séparent le fréquentable de l'infréquentable. Et ce mouvement n'est pas prêt de s'arrêter car, non contents d'avoir liquidé la droite traditionnelle, certains, a gauche, font profession de décerner des brevets d'extrême-droite a tous ceux qui ont le tort de ne pas penser a gauche. Pour ces adeptes de l'entre-soi, ces champions de l'intolérance, tout ce qui n'est pas a gauche est d'extrême-droite. Le Mouvement Réformateur et son président sont évidemment les prochains sur la liste des infréquentables a éjecter du débat. En effet, dans les dernières semaines précédant les élections du juin, on a pu assister au triste spectacle d'une gauche aux abois qui, a court d'arguments, accusait le MR d'être un parti raciste et d'extrême-droite.
Le cordon sanitaire médiatique assure-t-il aujourd'hui la défense des valeurs démocratiques ? Non. Parce qu'il est instrumentalisé par certains, il détruit le pluralisme idéologique et alimente la polarisation et l'intolérance. De deux choses l'une : soit on l'applique a tous les authentiques mouvements et partis antidémocratiques et on s'assure que tous les courants idéologiques démocratiques aient également le droit de s'exprimer en Belgique francophone, soit il est préférable de l'abandonner…
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